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Interdiction des panneaux photovoltaïques à Rougiers : analyse des arguments

par Pascal Hingamp

Un arrêté d’interdiction du photovoltaïque sera soumis au vote du conseil municipal ce lundi 21 septembre 2009 [1]. J’ai contacté des élus afin de leur demander de justifier cette contradiction avec la "charte pour l’environnement" signée en début de mandature [2].

Précisons que pour certains élus, un tel arrêté n’est ni compatible avec la charte qu’ils ont signé, ni compatible avec leur vision de l’avenir. Les élus qui souhaitent faire interdire les panneaux photovoltaïques (PV) présentent les mêmes trois arguments :
-  défense de la tradition architecturale du village
-  les panneaux PV ne sont pas recyclables
-  la motivation des demandeurs de permis d’installation PV est purement financière

Analysons rationnellement ces arguments point par point.

Défense de la tradition architecturale du village

Tout le monde s’accordera à reconnaitre qu’en matière de compatibilité avec le patrimoine architectural régional, les Architectes de Bâtiments de France (ABF) sont des professionnels compétents, aptes à en juger. Personne ne saurait leur faire le procès d’être trop laxistes quand il s’agit de faire respecter le style Provençal. Et pourtant, les Architectes de Bâtiments de France ont déjà donné leur accord pour l’installation de panneaux PV à Rougiers. Un courrier de janvier 2009 des ABF au sujet d’une installation PV de 16m2 à Rougiers est formel : les ABF n’ont eu aucune objection à formuler sur cette installation, pourtant dans le périmètre de protection du monument historique (moins de 500m de la fenêtre Renaissance).

Il n’est pas question d’accepter n’importe quel projet mal ficelé. Les panneaux doivent être intégrés à la toiture et non en sur-imposition, le verre est anti-reflets, les raccords avec les tuiles sont soigneusement étudiés etc. C’est tout sauf l’anarchie : l’intégration obligatoire au bâti (pour bénéficier des conditions de revente de l’électricité produite à EDF) font de la France un des pays les plus contraignant d’Europe en terme de méthodes de pose et donc d’aspect extérieur.

Notons que vu la pente très faible des toitures de Provence, les panneaux PV en toiture sont invisibles pour le promeneur et n’affecteraient donc d’aucune manière le charme de Rougiers. Quant à l’argument avancé que de St Jean ces panneaux PV enlaidissent le paysage : faites le test. Montez à St Jean, avec des personnes qui ne connaissent pas le village, et voyez ce qu’ils remarquent : les terrains de tennis, le parking à poids lourds et les appartements Indigo.

Les panneaux solaires (PV ou eau chaude sanitaire) sont les plus discrets des témoins de l’impact du XXIè siècle sur un village à la très longue histoire. On se réjouit - à raison - que Rougiers ait évolué depuis l’éperon barré sur le Piégu. Ne faut-il pas se réjouir du progrès que constitue la production solaire d’éléctricité ? Préférions-nous des éoliennes, ou une mini centrale nucléaire dite domestique qui s’annonce pour bientôt [3] ?

Nous sommes tous dépendants de l’énergie, et l’on ne peut pas continuellement imposer aux habitants de La Hague ou du Tricastin les impacts négatifs de notre propre train de vie. Les panneaux solaires semblent un prix bien doux à payer pour notre confort, en comparaison avec Tchernobyl ou le déplacement de 1,2 million d’habitants pour mettre en eau le barrage des 3 gorges [4]...

Les panneaux PV ne sont pas recyclables

Cette légende à la peau dure, pourtant il est très simple de s’informer auprès de sources fiables. Voici par exemple un article très fouillé au sujet du recyclage des PV publié le 22 avril dans "Renewable Energy World" [5]. Cet article présente notamment un tableau très simple et clair qui montre que 90% de la masse des PV est recyclable. En gros seule la colle et certains plastiques sont perdus, le silicium, les métaux et le verre sont entièrement recyclables. Dans certains cas, les cellules entières sont même récupérables, avec zéro perte de rendement une fois réintégrées dans des panneaux neufs !

Un autre article du "Brookhaven National Laboratory", la référence mondiale sur les recherches sur les sources d’énergie (aux US) montre que le recyclage est à la fois faisable techniquement et en passe de devenir économiquement avantageux avec la raréfaction des matières premières : "The Value and Feasibility of Proactive Recycling" [6].

Il existe déjà une entreprise (First Solar) qui est pionnière en matière de recyclage : dans chaque contrat de vente de PV, est inclus le coût du retour 20 ans plus tard à ses usines des PV et leur recyclage complet ! [7]

Imaginez seulement que l’éléctroménager, l’informatique et le parc automobile avaient les mêmes caractéristiques : durée de vie d’environ 30 ans, avec des rendements de plus de 80% garantis sur 20 ans, auto-restitution de leur énergie de fabrication en 5 ans, et recyclables à 90% !

Non, le photovoltaïque n’est pas un non-sens écologique.

La motivation est purement financière

Si les affaires financières des particuliers sont plutôt d’ordre privé, ouvrons au grand jour le porte-monnaie des projets d’installation PV. Les panneaux solaires sont très chers, aux alentours de 20.000€ pour une installation classique individuelle de 15-20m2. Ce prix plus élevé que la moyenne en Europe est notamment lié aux contraintes d’intégration hexagonales (les panneaux doivent faire partie du bâti et ne pas être simplement posé par dessus une toiture existante). Pour arriver à l’objectif de 23% d’énergie renouvelable d’ici 2020, l’état propose des aides considérables pour encourager les particuliers à investir dans ces équipements : crédit d’impôt de 50% sur le matériel, puis tarif de rachat bonifié par EDF (63cts le kwh cette année) [8].

Les contrats de revente à EDF, à des tarifs garantis sur 20 ans, permettent sous notre latitude favorable de vendre pour environ 2000€ par an d’électricité à EDF. Une installation PV typique représente donc un investissement significatif, avec avec un taux tout aussi significatif d’environ 10% (1.25% pour le Livret A).

Il est donc parfaitement exact qu’une installation PV représente aujourd’hui un gain financier non négligeable. Ce gain découle de la vente d’un produit essentiel (l’énergie électrique), et d’aides de l’état qui s’appuie ainsi sur les particuliers pour atteindre ses objectifs de mix énergétique.

Cet investissement sain, constructif, local, utile à la société n’est-il pas préférable aux placements spéculatifs qui sont unanimement hués depuis la crise des "subprimes" ?

Des élus qui souhaitent interdire le PV à Rougiers ont expliqué qu’ils ne s’opposent pas au PV par principe, mais seulement au PV sur les toitures individuelles. Ces derniers soutiendraient des projets dits de "fermes solaires" à l’extérieur de la zone urbaine du village. Ces projets industriels, en général de plusieurs hectares avec des budgets se comptant en millions d’euros, sont justement de véritables opérations spéculatives opérées par des milieux d’affaires dont le cadet des soucis est l’environnement ou la qualité de vie à Rougiers [9].

En favorisant ce genre de projets industriels, les aides publiques vont directement chez des actionnaires n’ayant jamais mis les pieds à Rougiers, les artisans locaux sont remplacés par des géants des travaux publics, et les agriculteurs sont mis en compétition avec les spéculateurs pour l’accès aux terres... Et que dire de l’impact esthétique de centaines de mètres carrés de panneaux PV en pleine nature, dans cette colline si précieuse ?

A Rougiers, cet arrêté mettra fin à des projets qui sont tout le contraire de la spéculation : qu’ils émanent de particuliers ou bien de la cave coopérative, ce sont des projets locaux, des projets innovants, des projets qui font la preuve du dynamisme des habitants, des projets dont les emplois et les bénéfices profiteront aux habitants et artisans locaux.

Un arrêté d’interdiction priverait des citoyens de l’accès à ces aides de l’état, comme si on interdisait aux habitants de Rougiers l’accès aux allocations familiales. La politique écologique de l’état, comme sa politique nataliste sont des stratégies volontaristes concernant tous les français.

Pourquoi ne pas envisager un investissement en production PV par la commune de Rougiers elle-même [10] ? Outre une véritable action dans le sens de sa charte pour l’environnement, ceci génèrerait des revenus mérités, à même de faire baisser les taxes supportées par les administrés pour la satisfaction de tous ? On peut aussi imaginer une SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) regroupant la municipalité et des particuliers qui n’ont pas les moyens de financer une installation complète, mais qui souhaitent contribuer à un projet collectif, cohérent et concerté, appuyé par exemple sur des bâtiments municipaux [11].

En conclusion, on peut citer le rapport du 16 juillet 2009 (commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale) [12] :

La satisfaction des objectifs assignés par le Grenelle de l’environnement, soit 5 400 MW en 2020, occuperait ainsi plus de 15 000 hectares. La culture française ne peut admettre une telle exploitation des espaces naturels au détriment tant de l’esthétique des paysages que des activités traditionnelles. Si les prix du foncier constructible le protègent d’un empiétement, les terres arables apparaissent en revanche particulièrement visées par les spéculateurs dans un contexte de crise économique qui renforce les tentations d’arrachage et de cession. Dans le seul département des Pyrénées-orientales, ce sont près de 20 000 hectares qui ont ainsi fait l’objet de prospection.

L’Etat doit agir pour affermir le cadre réglementaire des centrales photovoltaïques. Son action est cruciale pour éviter un effet d’éviction qui ne saurait générer que rancœur et contestation pour une énergie spontanément soutenue par une écrasante majorité de Français. Les meilleures perspectives, d’un point de vue social et environnemental, se trouvent par conséquent sur les foyers des particuliers et dans les grandes toitures.

Nous sommes nombreux à Rougiers à ne pas comprendre cette initiative malheureuse. Nous serons bien sûr présent dès lundi soir lors des délibérations, pour être témoins de la rigueur des arguments.

Pascal Hingamp


[1] http://rougiers.info.online.fr/article.php3 ?id_article=223

[2] http://www.rougiers-durable.fr/index.php ?page=charte.php

[3] http://www.enerzine.com/419/Toshiba-invente-le-reacteur-nucleaire-domestique/participatif.html

[4] http://fr.wikipedia.org/wiki/Barrage_des_Trois_Gorges

[5] http://www.renewableenergyworld.com/rea/news/article/2009/04/light-cycle-recycling-pv-materials

[6] http://www.bnl.gov/pv/abs/abs_142.asp

[7] http://www.firstsolar.com/recycle_modules.php

[8] http://www.hespul.org/Couts-et-financement.html

[9] http://www.abcbourse.com/Analyses/chronique-de_19_a_25_de_gains_par_an_pendant_25_ans_avec_un_risque_proche_de_0_-177.aspx

[10] http://www.leutenheim.fr/2009/02/10/panneaux-photovoltaiques-jour-j/

[11] http://www.projetdeterritoire.com/index.php/plain_site/Nos-services/Offres-d-emplois/Directeur-de-SCIC

[12] http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i1846.asp#P925_224111




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